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Lorsque
j'ai commencé à écrire, j'écrivais pour le
seul plaisir de raconter des histoires, justement. Mais je m'en suis
aperçu en écrivant La quarantaine, maintenant
j'écris pour une autre raison. Au fond, j'écris pour
essayer de savoir qui je suis. Chercher l'aventure... (1) Attention! En construction!
Jean-Marie Gustave
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aux Ce site ne sera jamais achevé. (Mais j'y reviens presque chaque année D'autres sites consacrés
à Le Clézio: L'association des lecteurs
de J.-M.G. Le Clézio |
1. IntroductionJean-Marie Gustave Le Clézio, né à
Nice en 1940, devint célèbre quand parut Le
procès-verbal en 1963. Sa réputation fut
assurée définitivement par l'attribution du prix
Théophraste Renaudot pour son premier ouvrage après avoir
de près manqué d'obtenir le prix Goncourt. Depuis, il a
publié plus de trente livres: romans, essais, nouvelles, deux
traductions de mythologie indienne, ainsi que d'innombrables
préfaces et articles et quelques contributions à des
ouvrages collectifs. En 1980, Le Clézio fut le premier à
recevoir le prix Paul Morand, pour la totalité de son oeuvre,
notamment Désert (1980). Plus tard, en
1994, il fut élu le plus grand écrivain vivant de langue
française. (2) |
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2. Bio-bibliographieAprès son début avec Le
procès-verbal, où erre Adam Pollo, et les
nouvelles de La fièvre (1965), qui partent
de l'expérience de la douleur, et qui sont écrites dans
un style qui rappelle celui du nouveau roman, Le Clézio fraye sa
propre voie à partir de Le déluge
(1966), où il dénonce la confusion, l'angoisse et la peur
de la grande ville occidentale. La réfutation de la
société culmine au seuil des années 70 avec les
romans Terra Amata (1967), Le livre
des fuites (1969), La guerre (1970) et
Les géants (1973), mais fait depuis
toujours partie intégrante de tous ses écrits. En
même temps que ces romans paraissent les essais méditatifs
L'extase matérielle (1967), Mydriase
(1973) et Haï (1971), ce dernier un
programme esthétique d'influences indiennes.(3) Trois villes saintes (1980)
écrit pendant les mêmes années que Mydriase
et Haï décrit des motifs de
l'Amérique du Sud.(4) Avec Les Géants, Le
Clézio met un terme à la période noire de ses
écrits. Plus d'expériences de langage, de collages, de
multivalence des paramètres d'action. Son style devient plus
retenu et la thématique s'élargit après Voyages
de l'autre côté (1975), qui inaugure une
période apaisée.(5) Les nouvelles de Mondo et autres histoires
(1978) témoignent de la nostalgie de l'enfance et de l'innocence
de la société pré-industrielle. Désert
(1980) raconte sur deux niveaux le sort des hommes bleus du Maghreb et
de Lalla, fille de nos jours descendante d'eux et La ronde
et autres faits divers (1982) suit quelques adolescents et
immigrés angoissés dans un milieu urbain. En même
temps que Mondo et autres histoires paraît
l'essai L'inconnu sur la terre (1978) et encore
en 1978 Vers les icebergs, juste après la
première traduction jamais publiée en langue occidentale
des mythologies indiennes Les Prophéties du Chilam
Balam (1977). (6) Une autre traduction, Relations de
Michoacan apparaît en 1984, les deux commentées
dans Le rêve mexicain (1988). (7) Les nombreux voyages qu'entreprend Le Clézio se
reflètent dans ses écrits. En Angleterre, il travaille au
Procès-verbal. L'extase
matérielle est fermentée à Bangkok. Sa
fascination pour la vie des Indiens culmine après un
séjour prolongé au Mexique en 1967, et le fait demeurer
au Panamá par intermittence entre les années 1969 et
1973, région qu'il visite encore fréquemment. Les
îles Maurice et Rodrigues seront ses prochains grands buts: le
voyage de nostalgie en 1981 aboutit à deux livres: Le
chercheur d'or (1985), les aventures de son
grand-père paternel, et Voyage à Rodrigues
(1986), journal largement autobiographique. Plus récemment, Le Clézio a publié des
nouvelles, Printemps et autres saisons (1989). A
l'exception de Sirandanes (1990), recueil de
devinettes créoles, notre decennie a été celle des
romans: Onitsha (1991), l'histoire d'un petit
garçon qui va en Afrique rencontrer son père,
médecin. Là aussi, l'auteur fait valoir ses propres
expériences. Etoile errante (1992) nous
mène à l'émigration des Juifs au pays promis. Puis
Pawana (1992), Diego et Frida
(1993), la biographie de deux artistes mexicains et La
Quarantaine (1995), qui raconte les aventures de son
grand-père maternel. Poisson d'or (1997) qui raconte le sort
tragique et vagabond d'une jeune fille est paru seulement quelques mois
avant La Fête chantée (1997) et Gens
de nuages (1997). La Fête puise de son
expérience chez les peuples amérindiens. Ce dernier
livre, écrit en collaboration avec sa femme est une sorte de
journal de voyage, de retour aux sources, à travers le
désert. Il a encore eu le temps, en 1997 de publier Enfances
(1997) qui est constitué de photos d'enfants dont les
légendes sont de Le Clézio. (Ma reconnaissance
à LS pour ces informations) Finalement, en 1999 est paru un livre qui contient deux
romans courts, ou nouvelles longues: Hasard suivi de Angoli
Mala, où le thèmes du grand voyage, de
l'aventure, des étendues rencontrent le sentiment de
déracinement, et le passage de l'enfance à l'adolescence.
Nous n'avons pas fait mention des nombreux textes,
principalement des nouvelles et des extraits de livres à
paraître publiés dans les revues au cours des
années, témoignant de l'érudition solide de Le
Clézio. En 1964, il présenta La Solitude dans
l'oeuvre d'Henri Michaux pour son D.E.S à
l'Université d'Aix. Parmi les essais de Le Clézio
critique littéraire, le sujet de Maldoror apparaît
à maintes reprises. (8) Ses contributions aux oeuvres collectives sortent du
cadre de notre recherche. 3. L'écrivain et sa langue
3.1 Langue pays natalLe Clézio grandit bilingue, d'un
père anglais et d'une mère française. A
l'époque où il se mit à écrire pour les
autres, il vivait en Angleterre, ayant l'idée de se faire
publier en anglais. Toutefois, il commença à
écrire en français, s'opposant ainsi à la
colonisation par les Anglais de l'île Maurice où
émigrèrent jadis ses ancêtres bretons. Par la
langue française, «langue bâtarde», il se sent
uni aux cultures anciennes, le commencement du langage, et aux Indiens
à travers les conquistadors. (9) La mobilité de sa vie, et sa vue de la
société ont provoqué un sentiment de distanciation
vis-à-vis de l'Hexagone. Il a une identité
méditerranéenne, atténuée par son aversion
du monde industriel. (10) En 1994 il confie à Catherine Argand lors
d'un entretien: pour moi qui suis un
îlien, quelqu'un d'un bord de mer qui regarde passer les cargos,
qui traîne les pieds sur les ports, comme un homme qui marche le
long d'un boulevard et qui ne peut être ni d'un quartier ni d'une
ville, mais de tous les quartiers et de toutes les villes, la langue
française est mon seul pays, le seul lieu où j'habite. (11) 3.2 Raison d'écrireLe Clézio écrit depuis
l'âge de sept ans, Le procès-verbal
n'étant que son premier roman à être publié.
Pour lui, l'écriture est une question de vie,
conditionnée par un besoin intérieur (12): «De deux choses l'une: on risque de se faire
avaler par la littérature ou par soi-même. Si on se fait
avaler par soi-même, on devient fou. Si on se fait avaler par la
littérature, on devient écrivain.» (13) Au début, c'était le plaisir de
raconter qui le poussa à écrire, et en 1969 il dit
à Pierre Lhoste qu'il continue la même histoire dans ses
livres, toujours dans son projet d'enfant, «d'écrire un
livre d'aventures un livre de Jules Verne de faire un voyage et de le
raconter au premier degré». (14) Assez vite, son écriture devient une
mécanique de défense par rapport aux autres, une voie de
fuite de la société occidentale, violente et artificielle
où tout le monde rencontre «la mort [...] l'envahissement
[...] l'asservissement des objets et l'agression de la vie». (15) En même temps, Le Clézio commence la
quête de soi, une réflexion sur l'être, à la
manière d'une aventure, à travers la connaissance des
autres. (16) Le séjour au Panamá transforme Le
Clézio en poète. Membre de la communauté indienne,
il reçoit une nouvelle identité. Ecrire devient trouver
la base de la vie dans la société occidentale
«orpheline de ses mythes», et la fiction cohérente
se prête le mieux à ses intentions. (17) Depuis, la production de Le Clézio, est
demeuré relativement stable. Il avoue même en 1986 n'avoir
«jamais vraiment aimé autre chose dans le roman que les
personnages et les histoires.» (18) Le développement dans les années 80 et
90 s'est joué sur le plan thématique et dans le fondement
de l'écriture: la quête de soi le pousse au voyage
à Rodrigues, qui aboutit à un hommage lyrique de son pays
natal et est également apparente dans des oeuvres biographiques
telles Onitsha et La quarantaine.
3.3 Langue réalitéLe Clézio adhère à
la réflexion commune des écrivains dans les années
soixante, sur la relation entre langage, vérité et
réalité. Toute la période entre 1965 et 1975 est
centrée sur deux problèmes devenus à la mode:
celui du langage et celui de la matière. (19) Les années 70 naissant, Le Clézio
pénètre la mythologie indienne, qui le remplit de
fascination et lui permet de s'ancrer dans l'existence. (20) Selon Le Clézio nous avons accès à la
réalité uniquement à travers le langage qui
contient tout, qui est la seule réalité. (21) Marguerite Le Clézio montre que ce parcours
demanderait une mesure ou une substance communes entre langage et
réalité extérieure, chose qu'elle rejette,
qualifiant la conception du langage de J.M.G Le Clézio de
platonicienne. (22) Le monde entier est un texte que l'homme essaie de
lire, mais la langue nous préconditionne à vivre une
réalité qui se détermine par les
possibilités d'expression. (23) Le seul contenu de la pensée est celui qui se
verbalise, tandis que les impressions sensorielles peuvent nous trahir.
(24) Les mots sont transparents, ils aident à
comprendre les choses. (25) Dans sa fonction primitive, le langage donne
accès à la réalité du monde
au-délà des concepts. (26) Le langage et la philosophie occidentaux, au
contraire, en retranchent par leur emploi dans la communication
logique. Ils ressemblent aux écrans opaques, qui empêchent
l'homme d'être vraiment présent dans le monde réel
où tout s'intercale. (27) «Les mauvaises questions, dit Le Clézio
à Pierre Lhoste, sont celles qui n'ont trait qu'au
langage», puisqu'elles «satisfont le monde de la
parole» mais non pas «le monde de l'existence du bien ou du
mal.» (28) L'existence d'une réalité implique
qu'il y ait une vérité qu'on atteint par la
réalisation parfaite de la réalité personnelle. (29) Brée met en valeur l'opposition entre le
«parole-parcours» qui rompt la solitude et les paroles
«coquilles-vides» des échanges quotidiens qui nous
retranchent de la réalité, par ses mensonges. (30) Elle parle d'une Tour de Babel, mots qui montrent en
même temps combien s'est détériorée la
langue et à quel point la ville est une abomination. (31) Il faudrait fuir la société des
paroles «coquilles-vides», mais nous en faisons partie,
déterminés par le langage comme par un masque dont nous
ne pouvons pas nous débarrasser: même quand on
dénonce le langage, les mots sont là qui
dénoncent. (32) La question de la langue devient plus aiguë en
considérant que Le Clézio a tendance à voir des
signes partout: «Dans la rue, tout me semble écrit. La
ville est une architecture d'écriture.» (33) Cela conduit Le Clézio à vouloir
libérer la langue et à s'en dégager pour arriver
à une vraie communication avec la matière. (34) Le Clézio trouve cette libération dans
l'attitude des Indiens du Panamá à l'égard du
langage, qui fait des émotions la seule source valable pour la
connaissance des vérités universelles. (35) Ainsi, il libère la langue de son
asservissement, et il la restitue dans une fonction encore plus
magique. (36) L'écrivain enchante les hommes tel un
sorcier, leur donnant accès à la vraie
réalité par ses signes précis qui permettent au
lecteur de passer vers une réalité supérieure
derrière les mots corrompus. (37) Haï transmet le mieux
cette quête d'une réalité au-delà des
limitations du langage. (38) Johnson voit dans L'inconnu sur la terre
et Mondo et autres histoires une volonté
de guider le lecteur, par les paroles, à un univers primitif de
réception spontanée. (39) 3.4. Transcrire le mondeDès le début, la
correspondance parfaite entre la totalité de la pensée
humaine, qui selon Le Clézio est écrite
déjà, et le texte servait d'idéal utopique et
visionnaire. (40)A son avis, la tâche de l'auteur était
de transcrire les expériences internes et externes par
enregistrement spontané à la manière d'un
sismographe et de déchiffrer ce qui dicte le comportement des
êtres humains. (41) L'écriture domine la parole parlée
parce qu'elle arrive à schématiser. (42) Dans Le monde est vivant Le
Clézio décrit une méthode simplissime: Voici ce qu'il faut
faire: il faut partir pour la campagne, comme un peintre du dimanche,
avec une grande feuille de papier et un crayon à bille. Choisir
un endroit désert, dans une vallée encastrée entre
les montagnes, s'asseoir sur un rocher et regarder longtemps autour de
soi. Et puis, quand on a bien regardé, il faut prendre la
feuille de papier, et dessiner avec les mots ce qu'on a vu. (43) Cagnon, prenant des exemples dans Le livre des
fuites, veut prouver que Le Clézio va à
l'encontre de ses propres engagements théoriques. Toutefois,
Cagnon met trop l'accent sur l'immédiateté de fixement
par écrit, ce qui ne permettrait pas à Le Clézio
de réviser ses textes afin de perfectionner l'adéquation.
(44) En effet, Le Clézio parle d'un entretemps
fructueux entre la mise en écrit et la dactylographie, lieu de
corrections, soulignant la différence entre le manuscrit et
l'imprimé. (45) 3.5. Langue musiqueDéjà en 1971, Zeltner veut
établir une parenté entre l'écriture de Le
Clézio et la musique pop, à cause de ses rythmes
extatiques. (46) D'abord, la danse et l'écriture sont pour lui
des activités qui libèrent de l'énergie, où
le langage n'est qu'un outil secondaire pour arriver à la vie. (47) Plus récemment, il a renoncé à
sa conception de la relation entre danse et écriture, laissant
de côté l'écriture directe pour un travail plus
paisible. (48) Le Clézio qualifie la musique d'abri de la violence
des mots qui abondent en société. Jacqueline Michel
inscrit la musique dans l'harmonie de la sphère du silence,
contre les mots, mais qui donne le besoin de parler. (49) L'idéal devient d'écrire sa propre
musique en harmonie avec la création, et la musicalité
s'est mise dans le rythme de la langue. (50) Di Scanno écrit à propos de L'inconnu
sur la terre que le langage selon Le Clézio est une
musique qui «doit rejoindre le chant du vent, de la mer, du
monde...» Ainsi la musicalité du langage se
réfère à l'enfant. (51) Une partie de l'analyse de ce travail est
consacrée à ces dimensions. Le chant indien est tellement puissant qu'il est
régulièrement accompagné par l'alcool et par la
drogue qui aident le chanteur à atteindre sa voix
intérieure et à provoquer l'ouverture aux forces
cosmiques. (52) 4. Points de référenceGermaine Brée renonce à
tracer complètement les influences de Le Clézio, à
qui elle octroie une «érudition [...]
encyclopédique.» (53) A en croire Arriens, il intègre toute
l'histoire de la culture dans ses écrits, tel un Homère
de notre siècle. (54) Il parle lui-même de la littérature
comme d'une «sorte de foule à travers laquelle [il]
déambule.» (55) Prenons ceci comme point de départ, avant de
nous hasarder à suggérer quelques traces. 4.1 Courants littérairesA part les rapprochements
déjà indiqués avec le nouveau roman, on a
découvert chez Le Clézio la loyauté envers la
réalité et le langage outil de Sartre. (56) On l'a
comparé à Sarraute et à Butor. (57) Le Clézio avoue ses dettes aux
représentants de courants littéraires différents,
anglosaxons en premier lieu, comme Keats et Auden, et Salinger, qu'il
relit le plus souvent. (58) Hemingway et Faulkner, les auteurs de style
«hard» lui ont servi de modèles. (59) Des Etats-Unis Le Clézio retient les
difficultés de l'individu dans la société qui
dépasse le raisonnable. (60) Waelti-Walters a consacré quelques pages aux
influences de Le Clézio. Elle montre des traits communs avec
Lautréamont, Michaux et Artaud. (61) Du premier, il se nourrit du mysticisme, des
secrets, de la magie des mots et de l'idée de la conscience
comme une relation avec les hommes, les animaux et les forces
cosmiques. Avec Michaux, il partage le sentiment d'hostilité
envers la société et l'expérience de la drogue
comme expansion de la conscience. Son problème est de savoir
comment se retrancher du monde sans subir une déprivation
annihilatrice, à la manière de Michaux. (62) Artaud est proche des autres, et Le Clézio
souscrit à ses réflexions sur la quête de
l'identité, de la dépossession et de la
libération. 4.2. Systèmes de penséeLe Clézio a subi l'influence
d'innombrables systèmes de pensée, surtout pendant ses
voyages. Derrière ses textes on entrevoit un
«syncrétisme mythique» dans une lutte entre une
explication rationnelle, scientifique du monde, et sa correspondance
mystique, basée sur l'expérience de la vie et les
conteurs anciens. (63) Aux cours de ses études il était
attiré par la mythologie gréco-romaine ainsi que par les
Védas et les Upanishades. (64) Plus tard, il incorpora le bouddhisme zen et le mode
de vie des Indiens embera dans ses pensées. Son
interprétation de Parménide (65) l'amena à refuser les dichotomies dans
l'existence communément vues comme fondamentales. (66) Cagnon et Smith, dans une étude basée
sur les nouvelles La fièvre et Le
monde est vivant, ont une tendance exagérée
à concevoir le taoisme comme source générale des
efforts de Le Clézio pour annuler les contradictions. (67) La dialectique de Le Clézio joue par exemple
sur les oppositions animé inanimé, homme monde, humain
animal, fiction réalité, masse/colléctivité
individu, ordre chaos, prénatal postnatal, vertical horizontal,
lumière ombre, et sur ce que nous allons étudier ici,
milieu naturel milieu urbain. (68) On a qualifé Le Clézio de panthéiste,
animiste, pseudo-animiste et matérialiste. L'auteur
lui-même se veut méfiant de tout système de
pensée, mais il montre quelques préférences
métaphysiques. (69) C'est un éclectique; Coenen-Mennemeier parle
d'une mosaïque de pensées. (70) Ainsi il parle de Dieu, qui pour lui est l'infini,
une ouverture que tout être a en soi, sur le plan psychanalytique
ou hallucinatoire, et qui le fait agir. (71) Franz juge faux de l'emprisonner dans le
matérialisme parce que «la matière mène
aussi à la poésie.» (72) En Le Clézio se mêlent le
matérialisme, et l'animisme: la matière est la seule base
de la réalité, mais cette base a certaines
facultés dites subjectives, comme la pensée. Il
reçoit de di Scanno les étiquettes
«essentialiste» et «existentialiste», celle-ci
parce qu'il ne voit dans le moi qu'un présent actualisé,
et celle-là parce que, à son avis, nous sommes l'essence
de la matière. (73) L'année 1975 semble être un point tournant
où il acquiert une harmonie plus profonde dans sa vision du
monde. (74) Mondo et autres histoires
témoigne du mouvement de la négation à
l'affirmation d'une conscience intégrante du cosmos. Ceci
provoque chez Le Clézio la tentative de fuite du monde
historique, qui porte l'empreinte de la raison critique, vers
l'appartenance de l'autre côté, celui des sensations
métaphysiques. (75) Cette fuite, selon Waelti-Walters but de toute
l'oeuvre de Le Clézio, s'accomplit à tel point dans Voyages
de l'autre côté que la littéraire
américaine n'ose pas en 1977 prédire où Le
Clézio va se diriger. (76) 4.3. Mythologie ancienneDepuis ses années de lycée,
Le Clézio s'intéresse à la mythologie ancienne
dont les thèmes surgissent partout dans ses textes. Par exemple,
Le déluge a emprunté son titre
à la Bible dans un scénario
apocalyptique, où le protagoniste suit la démarche d'un
OEdipe moderne. Parmi les autres thèmes de l'écrivain
citons le narcissisme, le thème d'Ariane, de David, d'Icare ou
de Jason. (77) Arriens a intitulé sa thèse «...
als Erzähler moderner Mythennovellen», et trouve elle aussi
maintes références aux mythes classiques dans l'oeuvre
leclézienne. (78) Elle rejoint l'opinion de Marguerite Le
Clézio qui voit dans les personnages de La ronde et
autres faits divers des réinterprétations des
héros mythiques. (79) Ainsi, Le Clézio se met à créer
des mythes et des légendes de la ville, dont la légende
de la première cigarette ou le mythe du monopole dans La
guerre. (80) Là il va jusqu'à suggérer la
composition d'une nouvelle bible, car à son avis les mythes ont
perdu leur importance aujourd'hui, ils peuvent même être
dangereux. (81) 5. Technique narrativeCartano écrit que Le Clézio
oscille entre le nouveau roman selon Robbe-Grillet et la tradition
visionnaire dans l'esprit de Blake et de Lautréamont. Il avance
le terme «métaphysique-fiction», à cause de
son goût pour l'écriture à l'état brut, qui
va jusqu'à la négligence des genres. (82) Ses grands problèmes sont celui de Balzac et celui
de Camus. A celui-ci, il emprunte l'isolation de l'artiste, qui devrait
être solitaire et solidaire en même temps. (83) L'écrivain se détache des autres par
son expression, qui le met en dehors du véritable langage, celui
de la quotidienneté. (84) Celui-là travaillait sur la mise en
écrit du tissu des sensations et des sentiments qui lient les
hommes à la vie. 5.1. Le langage éclatéDans les premières oeuvres,
l'animisme ou pseudo-animisme de Le Clézio se fit sentir par la
surabondance des contradictions qui s'annulent. (85) Comme tout est de la même substance vitale,
les mots reçoivent leur vie à eux. (86) Cette tendance, toujours visible dans ses
écrits, atteint son point culminant dans L'extase
matérielle, mais tous les textes de la
première partie des années 70 restent
«scandaleusement inclassables». (87) Les connotations des mots l'emportent sur les
dénotations aux dépens de la lucidité narrative. (88) Le rôle du langage en tant que moyen de
communication entre le moi et le monde cède la place au langage
comme moyen d'expression des sensations, pour lesquelles les
contraintes du temps et de l'espace sont trop exigentes. (89) Une voix familière cohabite avec des
descriptions lyriques, extatiques, à la limite des paroles. La linéarité du texte a éclaté,
il est intercalé par des dessins, des pancartes, des
poèmes et des pages de journaux, ces dernières servant
à rétrécir davantage la distance entre fiction et
réalité. (90) Le narrateur est omniscient, remet en question ses
propres mots, exhorte et supplie les lecteurs dans le bouillonnement du
langage qui déborde ses limites, bascule entre le concret et
l'abstrait, le réaliste et le fantastique. (91) Cela corrobore ses engagements théoriques
où il plaide le rôle du lecteur comme co-auteur, faisant
partie de la même communauté que celle où est
produit le texte. (92) Dans cette vue, prise chez les Indiens embera, le
texte est moins le produit d'un individu qu'une expression de
l'existence et une affirmation de la vie de la communauté. (93) L'idée est la même chez
Lautréamont, «un des derniers écrivains
individualistes qui ait compris ce que peut être l'art
collectif.» (94) L'animisme joue un rôle important: la
conscience est commune, mais divisée entre différents
individus, mais c'est une seule pensée qui crée la
littérature. Ce qui reste du récit classique, et ce qui
l'oppose à certains courants psychanalytiques, c'est qu'il garde
la vie vécue et l'existence comme points de départ du
texte. (95) 5.2. Des mots aux histoiresEn 1978, dans L'inconnu sur la
terre et Mondo et autres histoires, Le
Clézio s'est libéré de l'angoisse du monde
contemporain, par l'exil de la société et par la mort de
l'homme. (96) La quête furieuse des adéquations et
des moyens d'expression se résorbe, l'époque de
«l'écriture automatique» est finie. Son style
s'apaise dans une réorientation où il semble accepter les
limites de la langue. La linéarité s'est
développée et Le Clézio a augmenté l'emploi
d'un présent vivant, évoquant, aboutissant à ce
qu'il appelle «enfantasmes», recueillis dans Mondo
et autres histoires. (97) Le thème du désert, lieu d'existence,
pays plat, surgit, et il met davantage l'accent sur l'union homme
univers plutôt que sur réalité écriture.
Quand il s'exile du monde des adultes et captive la perception
spontanée de l'enfant, les mots deviennent des entités
animées. (98) Toujours omniscient, le narrateur s'est
approché des personnages principaux. Citons un exemple de la
nouvelle L'échappé: «La joue
gauche appuyée contre son épaule, les yeux fermés,
il s'endort, pendant que la lumière rouge du jour nouveau
apparaît devant lui, éclaire magnifiquement le
haut-plateau solitaire.» (52) La narration se constitue
principalement d'un compte rendu des impressions de Tayar, aussi quand
il rêve et qu'il hallucine, mais le langage témoigne d'une
érudition qui dépasse l'horizon du protagoniste.
Parallèlement, Tayar est décrit de l'extérieur,
sans rapports avec sa conscience. Coenen-Mennemeier suggère que l'emploi des noms de
personnes et de lieux sont des moyens d'augmenter l'effet de
réel. (99) L'intrigue n'est pas ce qui lie ensemble l'oeuvre
encore, mais elle rend possible une description plus
détaillée des personnages et des lieux. (100) Le lyrisme continue à l'emporter sur les
formes: Le Clézio ne cesse de dépasser les
classifications des genres. En fait, ce qui est nouveau dans Mondo
est plus dans le ton du narrateur que dans la narration. (101) Il subsiste quand même une certaine tendance
d'expériences de structure, particulièrement
évidente dans Désert mais aussi
dans les nouvelles de La ronde et autres faits divers.
(102) Les questions purement textuelles
n'intéressent pas, car à son avis elles isolent la
littérature du monde dont elle devrait être l'expression. (103) L'identification aux protagonistes grandit davantage quand
Le Clézio s'engage sur la voie autobiographique dix ans
après le premier grand tournant, et il dit en 1989, que Printemps
et autres saisons constitue ses premiers textes
littéraires: il a délibérément
employé une technique d'écriture selon une optique
choisie pour donner au lecteur l'illusion d'une réalité
autonome, ce qu'il dénonçait quand il était jeune.
(104) 5.3. Nivellement impressionnisteEn conséquence de l'ontologie
animiste, les personnages et les lieux sont souvent fixés
arbitrairement, parfois à plusieurs possibilités à
la fois, ou bien ils sont laissés curieusement imprécis. (105) Comme nous le verrons plus bas, cela prépare
la voie à la création d'archétypes à partir
des constituents du récit. (106) Le manque d'unité des personnages conduit
à une multiplicité d'identités, provoquant une
mobilité d'essence et de perspectives. (107) Waelti-Walters voit dans le besoin
d'enumérer les choses dans Terra Amata
l'opposition du détachement psychologique des personnages, un
échappement à la solitude. (108) Dans La guerre le narrateur
dit du protagoniste: «Elle a des quantités de noms pour
disparaître, Bea B., Lea D. Lions, Nadia, Florence, Claude G.,
Tranquilina, Carol, S. D. B,. Alexandra Tchkonia, Evelyne.» (109) En outre, elle meurt deux fois, avant de se
révéler immortelle. (110) Le temps du verbe est indépendant du temps
physique, l'instant étant à la fois présent,
passé, futur: «elle effaçait tous les
numéros des années: 637, 1212, 1969, 2003, 40 360, Aa
222, An VI.» (111) Cette phénoménologie, où le point de
vue des personnages écrase toute organisation externe aboutit a
un nivellement des impressions, qui n'est pas seulement un sentiment
chez le lecteur. (112) Besson, dans Le déluge,
énumère ses raisons de quitter la femme rousse:
Quinze ans plus tard, Le Clézio décrit les
symptomes de la fatigue de Tayar: «Sa respiration siffle dans ses
poumons, il y a une sorte de voile rouge qui ondule au bas de ses yeux,
tout près de la terre.» (59) Souvent, les souvenirs et les
produits de l'imagination se mélangent, comme dans la nouvelle Moloch.
(114) 5.4 La magie du cinémaBrée parle d'une technique de
cinéma, où le narrateur figure comme caméra
enregistrante. A son avis, la clé à l'oeuvre de Le
Clézio est son essai «La Magie du Cinéma»,
où le film est vu comme à la fois présent et
absent, un aperçu d'un autre monde, dont le réalisme est
confirmé par nos sentiments réels en face des
événements qui se déroulent à
l'écran. (115) Arriens trouve que le choix et l'organisation du
matériel chez Le Clézio ont des traits
cinématographiques quant aux aspects formels et aux
possibilités de changement de perspective. (116) Nous avons vu combien le visuel contribue à
souligner le sentiment d'un extérieur que transmet Le
Clézio. L'organisation du récit et les altérations
du point de vue restent fermement dans les mains du narrateur qui guide
le lecteur où il veut. Lhoste, citant Jouffroy, lui dit:
«vous filmiez votre vie avec un stylo-caméra.» (117) Plus tard dans l'entretien il se dit fasciné
par tous les arts visuels. (118) Bevernis note des parallèles avec le film
muet; la solitude des protagonistes réduit le nombre des
dialogues. (119) Dans Orlamonde, Le
Clézio applique une phrase cinématique en
commençant: «Toute ressemblance avec des
événements ayant existé est impossible.»
(209) 6. Thèmes subsistants des personnages6.1. L'enfant et l'adolescent protagonistesLe Clézio voudrait rester enfant.
Il dit ressentir un «refus de l'insertion dans le monde [...] des
adultes» qui ne répond pas aux besoins de l'adolescent. (120) Il a une tendance globale à choisir des
enfants ou bien des vieillards redevenus enfants comme protagonistes.
Dans la plupart de ses nouvelles, les personnages principaux n'ont pas
atteint la puberté.(121) On peut apercevoir chez Le Clézio
écrivant un texte une identification aux enfants, souvent de
petits garçons solitaires et sensibles. (122) Ils partagent ses rapports réformateurs
envers le langage et leur vue simple du monde. (123) Pendant l'enfance, époque magique,
l'être humain découvre le monde en même temps qu'il
acquiert le langage. Son accès à cet autre langage de la
matière que la société a perdu reste encore
intact. Dans L'inconnu sur la terre, le narrateur
fait ainsi «naître des images et des histoires grâce
à ses gestes et à la lumière de ses yeux.» (124) L'enfant incarne en quelque sorte la description du
monde mythique dans la ville, où règne la science et
l'ordre. (125) Il réussit mieux que l'adulte à
apprivoiser l'univers, à se défendre contre la vie
d'efficacité bruyante par des jeux de mots, et parce qu'il sait
des choses, qu'ont oubliées les adultes. (126) L'enfant n'est pas lié à un concept
fixé du temps, ce qui ouvre la voie à la beauté
terrestre, qui, à son tour, rend possible l'extase
matérielle. (127) Pour Le Clézio, l'enfant représente
l'âme pure, ce qui le rapproche de la tradition romantique,
où l'enfant est le symbole du paradis clos aux adultes. (128) L'opposition entre le souvenir de l'enfance et
l'état présent constitue l'un des thèmes
principaux dans l'oeuvre de Le Clézio. Le jeune protagoniste
personnifie la nostalgie de l'innocence, tenant une place
médiatrice entre la vie et la mort. Dans Hazaran,
Alia est celle qui annonce le départ du peuple, pour les sauver,
Martin ayant le rôle d'un Moïse. (129) Joseph Charon, dans Un jour de vieillesse
accompagne la dame au repos dernier. (130) Le rôle de précurseur de mort que joue
l'enfant dans L'échappé est
renforcé par la trainée de lumière qui le suit.
Par ces remarques on comprend pourquoi l'enfance est le lieu
privilégié de l'extase matérielle. (131) En grandissant, l'enfant devrait s'insérer dans la
société des adultes. A Vantroys, Le Clézio dit
qu'il trouve que le passage de l'enfance à l'adolescence quand
on se mesure au monde est «extraordinaire» et
«romanesque [...] par excellence». (132) L'intelligence développante lui donne
l'appétit et l'outil de domination: Le langage lui sert de
passe-partout au succès matériel et le guide à
l'acceptance des normes et des injustices de la société,
lieu de la technologie asservissante. (133) De là naît l'enjeu du conflit entre
l'explication scientifique et l'explication mythique du monde.
L'adolescent peut encore déchiffrer le monde, et il le vit d'une
expérience directe, mais il peut tellement s'y plonger qu'il
oublie tout, et se rapproche du mystère. (134) 6.2. SolitudeLe protagoniste éprouve un
échec, ou par isolement, comme Lullaby et Annah, ou par
subissement, comme Juba, dans La roue d'eau. Ils
plongent dans les rêves ou essaient de tuer leur nostalgie par
une frénésie malconduite. Ils quittent leurs parents
(notons qu'ils sont souvent enfants ou adolescents), l'école, la
ville. Adam Pollo fuit en arrière et son souvenir est devenu
désir d'une innocence perdue. (135) Dans l'hôpital psychiatrique, il est capable
de maintenir une vue réduite du monde. Les adultes de La
ronde sont assis devant leurs postes de télé,
tandis qu'au-dehors «dans la lumière du soleil, il n'y a
de place que pour les rêves» (19), ceux de Titi et de
Martine. Tayar effectue un parcours similaire quand il se
réfugie dans ses souvenirs d'enfance heureux au sein de la
nature. La ville l'a privé de ses instincts primitifs, lui
forçant de s'exiler de la civilisation afin de les retrouver. Dans un texte sur Henri Michaux, Le Clézio nomme la
solitude le thème fondamental de notre époque. (136) Il en témoigne dans sa propre production;
tous les personnages de Le Clézio souffrent d'une rupture qui
les retranche de la société, les jette dans la solitude. (137) Ils vivent séparés des êtres
humains de leur groupe social, quel qu'il soit. Cela rendrait possible
une description plus profonde de la psychologie des personnages. Au
contraire, la personnalité nous échappe, cédant la
place à l'archétype, souvent calqué sur un type
mythique tordu et réinterprété. (138) Nous sommes en face d'un paradoxe où l'homme reste
seul dans la masse de la société, où il est
impossible d'être soi-même, fabriqué par elle, mais
dont il n'existe pas d'issue. (139) 6.3 RegardLe regard est un moyen de communication
très important au-delà de toute interaction linguistique.
(140) On se crée dans le regard de l'autre dans un
échange de forces, car on a conscience des autres non pas de
soi-même. (141) La solitude contribue à une
dégradation de la personnalité faute de miroitement:
c'est de la communauté que surgit l'humanité. (142) En général, le regard innocent de
l'enfant, et parfois d'une femme ou d'un vieillard, accompagné,
peut-être, d'un sourire, symbolise quelque chose de positif,
tandis que les regards qui viennent d'une masse représentent la
société anonyme usante. (143) François Besson, dans Le
déluge, prend cette dernière attitude, et
éprouve tout regard comme une violence, une attaque
meurtrière. (144) Dans Ariane, Christine fait
de l'action de se regarder une manie, parce que personne d'autre ne le
fait. Dans L'échappé, Tayar est
rempli de haine intense face au regard luisant de l'enfant, mais sent
plus tard, en cédant, qu'il en reçoit des forces. Quand
l'enfant lui demande son nom, il répond Aazi, son nom
d'autrefois. Le soulignement du visuel conduit Le Clézio à
un solipsisme latent: dans L'extase matérielle
il se pose la question de savoir si l'autre est un être humain ou
une partie du monde. (145) Il se fascine du regard des animaux, qui voient en
l'homme tantôt un individu quelconque tantôt un être
comestible. (146) Waelti-Walters, qui analyse l'oeuvre de Le
Clézio jusqu'à 1976, trouve que pour celui-ci, tout ce
qu'on fait dans la vie exprime la relation homme monde. (147) 6.4. DouleurLes douleurs insupportables abondent chez
les protagonistes de Le Clézio. Toutes les nouvelles de La
fièvre décrivent les différentes
manières dont les personnages principaux réagissent aux
douleurs, que celles-ci soient causées par un mal aux dents ou
par un maltraitement. Les douleurs physiques des nouvelles de La
ronde et autres faits divers sont causées par la
faim, la soif, de la chaleur et du froid, par les pierres blessantes. Quelques éléments laissent suggérer
que la douleur tient une fonction de catharsis. La faim, la soif et la
fatigue purifient lles souvenirs (66). Plus tard, les douleurs sont
effacées par l'expérience extatique. Dans les nouvelles Moloch,
Ariane, Le passeur et David,
les personnages principaux sont transformés après
d'aiguës expériences de douleur. 6.5. L'homme en mouvementLes protagonistes sont en mouvement
perpétuel. Parfois ils marchent d'une impatience existentielle,
d'une fièvre métaphysique à une fuite de la
nostalgie de l'innocence, un énervement qui se
révèle jusque dans l'écriture. (148) Ils donnent l'impression d'être hantés
par un désir sous-jacent d'un ailleurs, de quitter la
civilisation, la ville pour s'unir aux éléments, comme
Besson dans Le Déluge ou Adam Pollo dans Le
Procès-verbal. Gaspar dans Les bergers
ou Antoine dans Le jeu d'Anne sont
déjà près des éléments, comme
presque tous les enfants. D'autres ne trouvent pas d'issue, comme Bea B
dans La Guerre ou Mondo. S'ils cèdent, la
réconciliation avec le monde est possible. (149) Dans l'aspiration de se rapprocher de l'existence
à l'état pur, ils rompent les liens humains et se
dépouillent de tout. (150) Chancelade dans Terra Amata
déambule, poussé par le malaise face au monde, et par la
fuite des hommes. (151) Il en est de même pour les héros de La
ronde et autres faits divers pour qui la fuite s'estompe
à chaque nouvelle du recueil: (152) «Il ne sait plus ce qu'il doit faire,
où aller. Il ne sait même plus pourquoi il est venu ici,
quand il fuyait la grande ville dont il connaît chaque
rue.» (56) Il ne s'agit pas de sortir de ce monde, mais du contraire.
Le silence des éléments, l'union avec l'univers attendent
à la fin de cette quête. En marchant l'être humain
entre en contact avec le monde d'une manière à sa mesure,
et il s'y unit. (153) Siganos a qualifié le désir des
personnages de «retour à l'inorganique.» (154) Michel confirme cette vue en rapprochant l'homme en
mouvement de la référence à l'espace blanc. (155) Le thème du protagoniste errant est fort connu dans
l'histoire de la littérature. Ainsi, on voit chez Le
Clézio des traits communs avec le roman picaresque, dans les
formes modernes de Cayrol, Beckett, Robbe-Grillet, ou Joyce, dont
Leopold Bloom partage l'errance comme acte métaphysique de
conquête du monde et de la réalité avec Adam Pollo.
(156) Avec le chevalier de la Triste Figure, les
protagonistes ont en commun l'attitude enfantine avec un regard vers le
passé. (157) |
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© Fredrik Westerlund 2006 (L'essentiel du
texte est écrit en 1996.)
Last modified: 2006-12-04